Jean Moulin - Artiste, Préfet, Résistant - le site de sa famille - L'Artiste - En Bretagne
Jean Moulin - Artiste, Préfet, Résistant...

Jean Moulin quitte Albertville le 26 janvier 1930 pour rejoindre Châteaulin dans le Finistère. Dans sa vieille Amilcar rouge, à laquelle il a fait mettre une capote en prévision du temps breton, il lui faut 4 à 5 jours de voyage pour rejoindre son nouveau poste. Il arrive à Quimper le 1er février puis à Châteaulin le 2. Dans cette modeste sous-préfecture, il trouve un jeune secrétaire, Jean-Baptiste Lucas, avec lequel il liera une solide amitié. « Ici j'ai un jeune secrétaire, mais qui a l'air très bien. D'ailleurs mon prédécesseur m'en a dit beaucoup de bien. » écrit-il à sa sœur.

Dans une lettre du 6 mars 1930, il déplore le manque d'activités culturelles : « Châteaulin n'offre pas beaucoup, je dirais même pas du tout, de ressources, aussi je ne sors guère sinon pour aller matin et soir au restaurant où l'on nous sert une tambouille pas très soignée. »

Mais il s'adapte peu à peu à la vie bretonne : « Le climat dont on m'avait dit tant de mal, n'est pas désagréable et nous avons eu de bien belles journées au mois de mars. »

Dès mars, il rencontre le poète Saint-Pol Roux, originaire de Marseille : « La semaine dernière, j'ai fait toute la presqu'île de Crozon qui est très belle. J'ai déjeuné à Camaret, grand port langoustier et ancien port de guerre fortifié. L'après-midi, je suis allé voir la pointe des Pois et le poète Saint-Pol Roux (dit le Magnifique...) qui m'a reçu très aimablement. Bien qu'il soit depuis des années retiré sur un rocher de Bretagne, il est originaire de Marseille, et c'est en provençal que notre conversation s'est terminée... ».

Son travail de sous-préfet qu'il accompli avec rigueur lui laisse tout de même beaucoup de temps pour lire et surtout dessiner. Il prend aussi le temps de fréquenter ses semblables. Il connaît vite, à Quimper, le docteur Tuset, médecin-chef d'hygiène à la préfecture, Catalan d'origine, graveur et sculpteur de qualité. Par lui, il fut introduit dans un groupe d'artistes et d'écrivains qui tenaient des assises amicales dans la capitale bretonne : Giovanni Leonardi, délicat peintre de gouaches et céramiste ; Lionel Floch, peintre et graveur breton ; le poète et dessinateur Max Jacob ; le docteur Destouches - Céline en littérature ; le jeune peintre Nicolas Pesce ; le poète et journaliste Robert-Louis Pillet ; etc.

Jean Moulin s'intègre bien et se fond dans ce milieu artistique breton où son talent pictural est apprécié. Lionel Floch lui dira : « j'admire votre facilité ! » et le docteur Tuset lui rapportera qu'à propos de son talent, le mot de "génie" a été prononcé. Influencé par la religiosité bretonne, et guidé par son ami céramiste Giovanni Leonardi, il réalise en 1932 une pietà en faïence de Quimper.

En libre penseur, et pour garder une distance protocolaire certaine, il se refusera toujours d'assister en tant que sous-préfet aux cérémonies et processions de la région et notamment au "Pardon de Châteaulin". Mais il rapportera du pardon de Notre-Dame de Rumengol et du pardon de Sainte-Anne-La-Palud de nombreux croquis et l'inspiration pour la réalisation de très belles eaux-fortes.

Jean Moulin et ses amis artistes bretons.

En Bretagne, Jean Moulin continue à produire des dessins humoristiques, collabore toujours à plusieurs journaux humoristiques et expose à Paris au Salon des humoristes de 1930 (voir Journaux satiriques). Il fait de fréquents voyages vers la capitale où il retrouve ses amis dont le peintre Jean Saint-Paul et fréquente Montparnasse source d'inspiration pour ses dessins (voir À Montparnasse). Mais en Bretagne, il fait de nouvelles découvertes artistiques, sans doute conseillé au début par son collaborateur Jean-Baptiste Lucas puis par le Docteur et artiste Augustin Tuset.

Il rencontra assez vite Max Jacob, chef de file de la poésie moderne auquel la plupart des jeunes écrivains comme Cocteau, Aragon ou Malraux vouent une grande admiration. Selon leur ami commun Roger-Louis Pillet, poète et journaliste, Max Jacob aurait dit de Jean Moulin : « Homme de qualité exceptionnelle ; destin hors-série. ». Puis dans une voiture qui le ramenait de Châteaulin à Quimper en compagnie d'Augustin Tuset : « Moulin, spécimen d'humanité hors classe ».

 


L'apprentissage de la gravure.

Sous l'influence de Lionel Floch et Augustin Tuset, Jean Moulin s'initie à la gravure sur bois, sur lino, sur plomb ou sur cuivre. Après de premiers essais, notamment deux eaux-fortes représentant l'une des toréros, l'autre un marché savoyard, il réalise plusieurs gravures s'inspirant de scènes bretonnes.

 

Tristan Corbière et Armor.

A Châteaulin, dont il déplore le manque d'activités culturelle, il a beaucoup de temps libre. Il lit Chateaubriand, Ernest Renan, Anatole le Braz et découvre l'œuvre de Tristan Corbière. Ce poète révolté, révélé par Paul Verlaine dans « Les poètes maudits », oublié et mort dans l'anonymat, avait progressivement été redécouvert à partir des années 1910, en particulier grâce à Saint-Pol Roux. Dès la lecture de ses poèmes d'Armor, il songea à les illustrer et surtout le plus important d'entre eux « La rapsode foraine » inspirée du pardon de Sainte-Anne-la-Palud.

Il lui fallut faire de nombreux croquis et essais avant d'achever cette œuvre conçue et en grande partie exécutée en Bretagne mais qui ne put paraître qu'en 1935. Jamais Jean Moulin n'avait produit d'œuvre aussi profonde, puissante et achevée. Il avait compris l'âme troublée et douloureuse du pauvre Tristan et compati à son destin tragique. Lui, incroyant, avait admiré la ferveur bretonne et la candeur des litanies adressées à Sainte Anne, la bonne patronne, pour qu'elle protège ses fidèles de la maladie. Dans les huit eaux-fortes qu'il réalise pour illustrer Armor, Jean Moulin abandonne le style élégant de ses carricatures au profit de traits violents et tourmentés. Parmi tous les artistes qui ont illustré Corbière, aucun n'a réussi à exprimer une telle violence expressive. À la vue de ces gravures, et notamment de la dernière « La Pastorale de Conlie », nombreuses sont les personnes qui se demandent si Jean Moulin n'a pas eu la prémonition de ce qui allait se passer dans les camps de la mort.

 



Voici quelques photos, dessins et gravures d'études préalables à la réalisation d'Armor :

 

NB : Jean Moulin a dédié un exemplaire à Saint-Pol Roux en ces termes : « A Saint-Pol Roux "le magnifique", hommage admiratif d'un provençal qui a été touché, lui aussi, par la grâce bretonne... ROMANIN ».

L'enfant prodigue.

À partir de 1931, il crée la série « L'Enfant prodigue transposé en Provence » destinée à illustrer un ouvrage de son père qui ne verra jamais le jour. Le trait incisif de ces dessins et gravures exprime une émotion profonde et tendre.

 

Gravures sur bois.

Pendant son séjour breton, Jean Moulin réalisa également plusieurs gravures sur bois dont une vue sur les quais de l'Odet et la cathédrale Saint-Corentin que le Docteur Tuset fit éditer en carte postale. Il réalisa également toute une série de gravures sur bois pour son père, qui avait entrepris d'écrire l'histoire de Saint-Andiol, et lui avait demandé quelques dessins pour l'illustrer.

 

Céramique.

Parmi les meilleurs amis de Jean Moulin, on compte le sculpteur et céramiste sicilien Giovanni Leonardi qu'il a rencontré chez le docteur Tuset. Leonardi lui présente les faïenceries HB de Quimper où il travaille et l'encourage à essayer cette technique. Jean Moulin réalisera une seule céramique qu'il offrira à Augustin Tuset. Il s'agit d'une Pietà ou plus précisément une déploration de la Vierge et des saintes femmes sur le corps du Christ, choix de sujet étrange pour un non croyant mais directement inspiré par les calvaires de Bretagne et particulièrement par celui de Brasparts, commune de son arrondissement. Cette céramique, conservée par le docteur Tuset puis par sa veuve a été acquise par le musée des Beaux-Arts de Quimper après le décès de cette dernière.

 

Dessins divers.

Jean Moulin ne se déplaçait jamais sans un carnet à dessins sur lequel il croquait ses semblables. Mais il noircissait aussi très souvent les papiers qui passaient entre ses mains.

 

Un carnet parmi d'autres...

 

Souvenirs d'un pardon à Sainte-Anne-la-Palud...

Athée mais non sectaire, il assista à de nombreux pardons bretons, toujours à titre personnel, jamais au titre de sa fonction. Il rapporta du pardon de Saint-Anne-La-Palud cette série de cartes postales.

 

Souvenirs de ses amis

Quelques œuvres de ses amis bretons...