Jean Moulin - Artiste, Préfet, Résistant - le site de sa famille - L'homme et sa famille - La Grande Guerre
Jean Moulin - Artiste, Préfet, Résistant...

 

Jean Moulin soldat

Mobilisé le 17 avril 1918 avec la classe 19, il est affecté au 2e génie de Montpellier. Il venait de perdre sa grand-mère Clarisse. Sa sœur et lui en furent très affectés : c'était, selon les propres termes de Laure, la fin de leur jeunesse.

La guerre s'éternisant, la formation militaire était accélérée. Il fallait envoyer au plus tôt les nouvelles recrues au front. Il partit le 20 septembre 1918 quelques jours après le décès de sa marraine, Jeanne Sabatier, morte le 11 septembre de la terrible grippe espagnole.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Montpellier, le 18 septembre 1918

Je ne pourrai pas venir à Saint-Andiol, je pars après-demain vendredi. J'ai passé la visite aujourd'hui. J'ai été déclaré apte. On vide tous les dépôts maintenant.

Il fut tout d'abord dirigé vers les Vosges. Le 25 septembre il est dans le petit village de Socourt près de Charmes.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Socourt, le 25 septembre 1918

Nous sommes bien ici. Nous cantonnons dans les maisons du village, mais je crois que nous ne sommes là que pour quelques jours. Nous irons sans doute au camp de Gripport où sont mes camarades.

La nourriture est bonne. Nous avons du pain délicieux. Puis il y a beaucoup de vaches ici. Le lait n'est pas cher. [...] Aujourd'hui le temps est superbe. Le soleil est resplendissant. Ça nous rappelle la Provence.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Socourt, le 28 septembre 1918

Je suis avec un caporal de Carpentras. Nous parlons provençal. Ça fait plaisir.

Extrait d'une carte postale à sa cousine Marcelle Sabatier,
Socourt fin septembre 1918

L'air des Vosges me fait du bien, je crois que j'engraisse tous les jours. [...] Je ne t'ai pas dit que j'ai été nommé sapeur de première classe. [...]

L'armistice le trouve encore à Charmes alors que sa compagnie s'apprête à monter en première ligne.

Des prisonniers libérés passent par Charmes. Il est très impressionné par les anglais qui reviennent d'Allemagne.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Socourt novembre 1918

Ils font peur. Ce ne sont que des squelettes. J'ai causé avec l'un d'eux, à la cantine anglaise. Il ne devait pas peser 30 kilos. Il me racontait tout ce qu'ils avaient souffert. C'est affreux. On est obligé de les garder quelques jours ici pour les soigner avant de les renvoyer chez eux. Il faut les rationner. Beaucoup, paraît-il, sont morts en route pour avoir trop mangé.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Socourt, le 22 novembre 1918

Le froid vient, 12° au-dessous de zéro avant hier. Comme il ne fait pas de vent, c'est supportable.

De Charmes, il est transféré à Metz...

Extrait d'une lettre à ses parents,
Metz, le 5 décembre 1918

Je reçois à l'instant votre lettre et le mandat qui m'ont bien fait plaisir. [...] Je trouve qu'il ne fait pas trop froid maintenant, c'est peut-être l'habitude. Envoyez-moi des choses à manger, car le ravitaillement ne marche pas trop bien. Il me tarde d'aller faire un tour en Alsace-Lorraine ; peut-être partirons-nous bientôt...

... puis, quelques jours plus tard, à Faulx-Saint-Pierre. Il a parfois l'impression qu'on ne sait trop que faire de sa classe.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Metz en décembre 1918

Je suis encore à Metz jusqu'à ce soir. Je vais à Faulx-Saint-Pierre. Je crois que je n'ai pas fini de voyager. Peut-être ce sera la dernière étape...
Cette nuit, les rats m'ont mangé tout le jambon dans la musette que j'avais laissée à la consigne.

Extrait d'une lettre à ses parents

[...] J'ai été d'abord menuisier, puis terrassier, et enfin quelques jours téléphoniste à la chefferie du Génie. J'aurais tout fait étant soldat...

À la fin de l'année 1918, il est affecté au Plessis-Trévise, en Seine-et-Oise. De là, il peut aller souvent à Paris où il est reçu chez des parents, les Auran, qui tiennent un restaurant bien connu à Montparnasse, Les Milles Colonnes.

Il reste là un peu plus de six mois, et en juillet 1919, il part pour Verdun. Il obtient une permission d'une vingtaine de jours qu'il passe en Provence, à Saint-Andiol. De retour à Verdun le 1er septembre, il est transféré à Châlons-sur-Marne le 7 où il est affecté comme secrétaire au dépôt démobilisateur du Génie.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Châlons-sur-Marne, le 8 septembre 1919

Je suis arrivé hier à Châlons et je ne m'y trouve pas mal. Je n'ai qu'un regret : c'est de voir partir les autres, alors que je suis obligé de rester. [...] Nous travaillons de 8h ou 8 h 30 à 11 h, et de 1 h 30 à 5. Ce n'est pas embêtant, car c'est très mouvementé. Ce n'est qu'un défilé ininterrompu de démobilisés. La nourriture est très bien. [...] Je ne crois pas y rester longtemps, cependant, car la démobilisation va être bientôt terminée ici, les habitants de la Marne bénéficiant d'une majoration de trois classes.

En cette fin d'été, ce qui le préoccupe, c'est sa propre démobilisation qu'il souhaite proche afin de pouvoir reprendre dès la rentrée ses études de droit à Montpellier. Le 16 septembre il adresse à sa hiérarchie une demande de sursis que le commandant du recrutement de Béziers lui accorde le 23 septembre.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Châlons-sur-Marne, fin septembre 1919

Vous avez dû voir sur les journaux le vote du traité de paix par la Chambre. Quant au Sénat, c'est l'affaire de quelques jours. Seulement, d'après la circulaire, nous ne devons partir qu'après la cessation des hostilités au quinzième jour après la loi promulguant la ratification du traité. C'est bien loin tout ça, au moins un mois. Dans ce cas je serai en retard pour la rentrée.

Il fut en fait libéré en temps voulu. Il arrive à Béziers le 1er novembre 1919. Dès le 4 novembre, il reprend officiellement ses fonctions à la Préfecture, à Montpellier. L'arrêté de nomination est ainsi libellé :

M. Moulin Jean est nommé attaché au Cabinet du préfet, à dater du 4 novembre 1919.

À Montpellier, le 29 novembre 1919,
Le Préfet,
[signé] Linarès

Ce grade lui vaut une indemnité de 200 francs par mois qui seront les bienvenus pour financer en partie ses études, dans cet après-guerre où la vie se renchérit sans cesse.